lundi 28 août 2017

"Ne laisse aucune trace de ta souffrance sur cette terre"



" Un vieil homme, un vieux rabbin new-yorkais était venu à Vienne parler de la tradition, dans un grand amphithéâtre de l’université. Il était poignant, il était bouleversant de présence et de lumière. Et à un moment dans les discussions, ne voilà-t-il pas qu’une femme, à ma grande consternation, – (et là aussi c’est une leçon extraordinaire : c’est souvent l’irritation, ce qu’on voudrait à tout prix éviter qui crée un fruit extraordinaire et considérable. Même là, nous n’avons pas à juger de ce qui est bon ou de ce qui ne l’est pas) -, elle a posé une question à cet homme : ‘Pourquoi avez-vous attendu cinquante ans pour revenir dans la ville où vous êtes né ?’

Cette question dans ce qu’elle avait de heurtant, nous a valu cette réponse extraordinaire, et ce vieil homme a dit : ‘Je suis un vieil homme et je vais bientôt faire le passage ; et je me suis demandé dans la profondeur de mon être : qu’est-ce que je pourrais faire pour aider ce monde comme il va ? Qu’est-ce que je pourrais faire encore de ces jours qui me restent à vivre ?’

Et la réponse est venue, fulgurante : ‘Ne laisse aucune trace de ta souffrance sur cette terre, si tu veux vraiment faire quelque chose pour ce monde’. Alors je me suis dit : ‘toute ma vie j’ai essayé de transmuer cette souffrance de la dernière guerre en énergie de vie !’ Mais subitement, une mémoire m’est montée. Quand j’avais douze, treize ans, j’ai été pris à parti par des jeunes nazis qui m’ont jeté des pierres et laissé pour mort sur un pont de la ville. Et alors ce matin, savez-vous ce que j’ai fait, madame ? Avant que la vie ne commence dans cette ville, je me suis rendu sur ce pont et j’ai été retrouvé l’enfant que j’ai été, il était là, il m’attendait. Et je l’ai pris dans sa main, et je le ramène ; et ainsi dans cette ville, il n’y a plus aucune trace de la souffrance du vieux rabbi Scharter’."
Christiane Singer

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